Le samouraï du droit d’ingérence au Japon
Admirateur de Kouchner, le sénateur Inuzuka promeut une politique plus humanitaire.
Par Teman Michel QUOTIDIEN : lundi 9 juillet 2007 «E nfin !» s’exclame, dans son bureau n° 318 de la Chambre des conseillers, Tadashi Inuzuka, sénateur du Minshuto (Parti démocrate) . «Le Japon est enfin membre de la Cour pénale internationale (CPI)», le tribunal de La Haye (aux 104 nationalités) chargé de juger les génocides, crimes de guerre et crimes contre l’humanité. «C’est un succès pour ceux et celles qui ont lutté à mes côtés depuis sept ans. C’est un moment clé pour le Japon.» A Tokyo, aidé par des députés de tous bords, des diplomates et des ONG, Inuzuka a obtenu du Parlement qu’il ratifie, le 27 avril, le traité de la CPI. «Ce n’était pas gagné, jure une assistante parlementaire. En séance, la première fois, quand le sénateur Inuzuka a expliqué pourquoi le Japon devait rejoindre la Cour pénale internationale, des parlementaires ont demandé ce que c’était ! Ils n’en avaient jamais entendu parler.» A 52 ans, Tadashi Inuzuka s’est bâti une image d’homme de rupture. Il parle l’anglais, et d’autant mieux français que son épouse est française. A chaque élection, il fait campagne à l’américaine. Il multiplie les discours dans les universités et utilise l’Internet et son blog pour communiquer. Au Parlement, son look détonne. Pas de cravate pour le sénateur, qui préfère les costumes type Mao. «Idoles». Originaire de la région de Nagasaki, Inuzuka n’est pas un fils de politicien. C’est un représentant de la société civile. Ses parents vivaient surtout de la pêche. Le jeune Tadashi, lui, a changé de cap. Après avoir décroché des diplômes de gestion aux Etats-Unis, il a réussi dans les affaires. Il a géré un restaurant à Tokyo, un hôtel à Hawaii. avant de s’engager en politique il y a dix ans sous la bannière démocrate. Le 17 janvier 1995, après le séisme de Kobe, Inuzuka fut choqué par la lenteur des secours et le bilan (6 400 morts, 40 000 blessés). A Kobe, il a découvert les French doctors de Médecins sans frontières et Médecins du monde. «Ce sont mes idoles. Ils prennent des risques, agissant dans des conditions extrêmes, avec peu de moyens, pour sauver les autres.» Avec Gaël Austin, un consultant breton établi à Tokyo, Inuzuka aida à fonder l’antenne nipponne de Médecins du monde. Depuis, tandis que certains, à Tokyo, voudraient que le Japon s’érige en «puissance militaire au service de la paix», Inuzuka caresse le rêve de voir son pays devenir la première «puissance morale.» «Coopérer». Son mentor n’est pas un samouraï de jadis, mais le nouveau chef de la diplomatie française, l’ex «french doctor» Bernard Kouchner, qu’Inuzuka cite sans cesse. Comme lui, Inuzuka croit aux vertus du «droit d’ingérence» contre les Etats bafouant les droits de leur population. «Le Japon doit apprendre à se mêler de ce qui ne le regarde pas, dit-il. Il est temps que notre pays élargisse ses vues. Le Japon fait une fixation compréhensible sur les otages japonais kidnappés par la Corée du Nord dans les années 70 et 80. Mais notre pays ne doit pas oublier qu’un million de Nord-Coréens sont morts de la famine dans les années 90. Ou qu’en Inde 40 000 enfants sont kidnappés par an. Le Japon doit être sensible au sort de tous les souffrants, au-delà de ses frontières.» Inuzuka est encore plus sûr de ce qu’il pense depuis sa mission au Darfour, en août 2006. «Dans les camps de réfugiés comme celui de Karma, j’ai été témoin d’une misère et de souffrances que je n’avais jamais vues. J’ai réalisé que le Japon pouvait faire beaucoup plus, mieux coopérer avec les ONG et les organisations de l’ONU. Le Japon dépense mal son aide au développement. Notre pays est pourtant riche et a beaucoup d’expérience. Ruiné en 1945, le Japon a su rebâtir une grande économie. Mais ce n’est pas assez. Le Japon doit être plus actif. Elaborer de nouveaux standards économiques et humanitaires. En matière de droits de l’homme, la diplomatie du carnet de chèques ne suffit plus.» Aussi Tadashi Inuzuka vient-il de faire adopter par le Sénat, à Tokyo, les statuts du premier «Centre de sécurité de l’humain», un centre de recrutement et de formation de «volontaires de la paix» qui iront servir à l’étranger dans des zones en guerre ou de grande pauvreté. «Il est difficile d’éliminer les causes des conflits, ajoute le sénateur. Mais il est toujours possible d’aider ceux qui en sont victimes.»
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